L’Afrique, riche de ses ressources et de la résilience de ses populations, fait face à un défi majeur : surmonter l’afro-pessimisme qui entrave son développement. Dans cet article, l’auteur explore les racines de ce sentiment d’infériorité et propose des pistes pour bâtir une Afrique émergente, en mettant l’accent sur la nécessité d’une prise de conscience collective et d’une action individuelle.
L’Afrique demeure le continent des misères, malgré ses immenses ressources et l’endurance de ses populations. Quelles en sont les causes et comment s’en sortir ?
Depuis plusieurs siècles, les peuples africains sont victimes d’injustices et de brimades multidimensionnelles : la traite des Noirs, la colonisation, les dictatures, les pillages… Les atrocités infligées aux populations du continent noir n’ont ni limite ni équivalent dans la civilisation moderne. Les auteurs de ces crimes, perpétrés depuis plus de mille ans, sont à la fois des peuples étrangers et des Africains eux-mêmes. Quand des individus sont constamment violentés en raison de leur race et marginalisés à cause de leur origine et de leur histoire, il est légitime de se demander quel avenir attend leurs progénitures. Ces dernières risquent de devenir des individus manquant d’estime de soi, des éternels soumis, des potentiels mendiants. Des peuples constitués de telles progénitures, comme c’est le cas des Africains, ne peuvent renaître et se frayer un chemin vers la lumière tant qu’ils ne trouvent pas le sursaut né d’un effort de dépassement et d’orgueil humains. C’est sur ce chemin qu’ils découvriront la lumière pour atteindre la liberté et, par conséquent, le développement.
Le manque de confiance en soi, source de l’afro-pessimisme
Chez tout individu asservi et avili, le doute est inévitable. L’estime de soi est alors au-dessous de la moyenne, et c’est le cas de l’Africain. Ce syndrome touche les nations qui n’osent pas s’assumer, en puisant dans leurs civilisations anciennes pour se projeter vers un avenir radieux. Chacune d’elles, tombant dans la facilité, imite les autres civilisations, imposées par la barbarie, la duperie ou la persuasion. En refusant d’assumer nos propres actes, nous sommes fragilisés et exposés à un double crime : celui perpétré par l’autre venant de l’extérieur et celui commis par nos propres politiciens et gouvernants de mauvais acabits. Il est facile de croire, hélas naïvement, que les nôtres ne vont pas nous nuire ou nous tromper lorsque nous leur confions le pouvoir de conduire notre destinée. Pourtant, à travers notre longue et douloureuse histoire, de la traite négrière aux indépendances, il s’est toujours avéré que des Africains exerçant le pouvoir ont été complices, voire auteurs, du système d’exploitation auquel est assujetti le continent noir.
Il est temps pour nous, Africains, de comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est à nous de trouver la solution à nos problèmes. Personne d’autre ne réfléchira à notre place sur comment chasser en nous le doute et le pessimisme qui nous infériorisent. Ce doute nous empêche de réaliser que nous aussi, nous sommes capables de prouesses. Quant à l’étranger, ce n’est pas de la xénophobie ni du racisme, il défend simplement ses intérêts. D’où l’échec de tous ces folklores de coopération « gagnant-gagnant », « aide au développement », « solidarité nord-sud », qui ne sont que des concepts pour nous endormir pendant que les richesses du continent sont pillées et évacuées sous forme de matières premières vers des pays riches. Pendant ce temps, nos États s’endettent de plus en plus, et nos chefs d’État, véritables « gouverneurs noirs » du régime colonial, détournent les maigres recettes de nos économies pour les placer dans des banques des paradis fiscaux, tandis que nous manquons de tout : eau potable, électricité, écoles, hôpitaux, routes, logements décents…
À ce stade, personne ne prendra l’Afrique au sérieux, car elle demeure une non-entité économique. Pendant ce temps, ailleurs (Europe, Amérique, Asie ou Australie), on continue à découvrir de nouvelles idées novatrices nécessaires aux sociétés prospères et dynamiques. L’exemple asiatique est frappant. En moins d’un demi-siècle, la plupart des pays de cette région (Corée du Sud, Singapour, Chine, Malaisie, Indonésie, Inde) qui étaient au même stade que les nôtres dans les années 1960, ont intégré le club des économies émergentes, tandis que les Africains, devenus plus pauvres et lourdement endettés, se perdent dans des politiques socialistes ou hyper-étatiques. D’où nos États défaillants. Et nous nous accrochons à l’idée que c’est l’unique voie pour accéder à la terre promise.
Le salut ne viendra pas de nos États défaillants
Notre peur de nous assumer nous amène à confier nos avenirs à nos États, alors que ceux-ci, conduits par des gouvernements téléguidés par l’impérialisme à travers les institutions de Bretton Woods, sont également défaillants. N’est-ce pas un complexe d’infériorité ?
Cependant, en partant du principe que tout problème a sa solution, il est possible pour l’Africain de ressurgir sans assistance extérieure, quel que soit le complexe d’infériorité qui le ronge. Nous avons nos propres valeurs, et celles-ci, combinées à celles positives issues de la civilisation universelle, ouvrent la porte vers un monde de lumière. L’Africain n’est pas entré dans l’histoire comme certains le prétendent. Cependant, l’Africain d’aujourd’hui perpétue le pire du colonialisme, car il a l’esprit embrigadé par le néocolonialisme et impacté par la guerre froide marquant la seconde moitié du XXe siècle, et aujourd’hui par la guerre de positionnement entre les grandes puissances. En effet, outre la Françafrique, on entend maintenant parler de la Chinafrique, de la Russafrique, de l’Ameriquafrique et bientôt de la Turquafrique. Tout cela se résume à un seul mot : fric, pour reprendre l’idée de François-Xavier Verschave. L’Afrique, refusant de s’assumer, n’est qu’une pompe à fric. Ceux qui croient que l’Africain noir est de niveau inférieur parce qu’il ne crée pas de valeur se nourrissent d’une peur de s’assumer. D’où l’afro-pessimisme. En restant inactifs, en ne croyant pas en nous et en laissant tout aux politiques du type « peaux noires, masques blancs » qui dirigent nos États défaillants, nous donnons raison aux pires racistes, notamment aux factions d’extrême droite.
À l’intérieur, ces tendances psychologiques négatives se manifestent par une haine de l’autre. Ces dernières années, par exemple en Afrique du Sud, nous avons assisté à des scènes d’attaques xénophobes contre des Africains venant d’autres pays du continent. Malheureusement, la patrie du très vénéré Mandela n’est pas un îlot dans l’océan. Dans d’autres régions d’Afrique, il arrive que des dirigeants prennent des mesures restrictives contre des citoyens venant d’autres contrées. Un ressortissant de l’Afrique de l’Ouest souhaitant se rendre dans un pays de l’Afrique centrale ou australe doit se munir d’un visa, parfois difficile à obtenir, tout comme pour l’Europe ou l’Amérique.
Les nations européennes ne se gargarisent pas du pan-européanisme pour que leurs citoyens puissent circuler librement dans leurs espaces respectifs. Leurs gouvernants ont simplement confiance en leurs ressortissants qui circulent et commercent sans entrave sur un marché plus ou moins libre. Ainsi, en Afrique, la meilleure façon de joindre les discours aux actes serait que nos gouvernants ouvrent les frontières au lieu de prêcher le panafricanisme tout en promouvant le protectionnisme dans leur propre prébende.
Se libérer de l’État défaillant
Nous l’avons dit, les solutions à nos problèmes ne viendront pas d’ailleurs. Ce n’est pas à nos États défaillants de les trouver. Ce que nous attendons de nos dirigeants, c’est qu’ils nous créent un cadre de vie propice à l’épanouissement économique, social et culturel. Il s’agit, en premier lieu, de mettre en place un mécanisme qui garantit et protège les droits de propriété privée et les marchés libres. La voie vers la prospérité passe par ces facteurs. À partir de là, les Africains seront en mesure de saisir l’opportunité et de prendre leur propre destin en main.
Avec des populations en bonne santé et éduquées (en tenant compte de nos cultures et réalités tournées vers les technologies de l’information), les Africains, dans un esprit libre et créateur, retrouveront l’estime de soi, brisant ainsi la peur et osant s’assumer. C’est dans une telle disposition que chacun sera en mesure de saisir son propre destin.
Pour sortir de l’ornière, nous avons besoin de citoyens qui osent avancer pour réfléchir, créer et produire par leur propre initiative et audace. Mais pas ceux qui s’abritent derrière l’État pour dissimuler leur médiocrité. Le collectivisme à l’État tel que nous le pratiquons est contre-productif. Il engendre la paresse, la médiocrité, le népotisme et la corruption.
Pour y parvenir, nous avons besoin d’Africains qui ont confiance en eux, qui se fient à eux-mêmes pour créer et produire sans devoir se cacher sous la coupe d’un État pour dissimuler leur médiocrité. Des Africains qui se sentent égaux à n’importe qui dans le monde et qui puissent échanger, jouer et débattre avec qui que ce soit. La persistance à ce niveau détruit l’esprit de créativité et sacrifie l’espoir des générations émergentes. Tout ce que nous avons essayé ou calqué chez les autres, entre le socialisme, le nationalisme et le libéralisme sauvage, n’a entraîné que l’échec et la désolation. Ce sont toujours des dirigeants médiocres, incapables d’innover, qui réfléchissent pour tout le monde. C’est pourquoi nous restons convaincus que les peuples africains ont besoin de leur propre révolution de lumière.
Il ne s’agit pas de reproduire ce que la Chine, l’Europe et l’Amérique ont fait. Il faut placer l’individu en tant qu’unité de base d’un ensemble, en lui accordant le maximum de liberté. Dans toutes les sociétés où l’homme, en tant qu’individu, bénéficie de la liberté de s’exprimer, de penser, de créer, de se mouvoir et de jouir de ses biens et services, il y a eu prospérité et développement. Tout individu bénéficiant de ces conditions de vie sortira le meilleur de lui-même. L’exemple chinois est éloquent.
Cela signifie que réduire la liberté d’une personne selon des bases irrationnelles (en établissant des contraintes liées à la race, la communauté, le genre ou la religion) détruit en elle toute capacité de création et, ipso facto, d’épanouissement. Voilà l’aspect négatif de nos pouvoirs autocratiques adoubés par des puissances étrangères dont la seule préoccupation est de s’enrichir au détriment d’une Afrique qui s’enfonce chaque jour davantage.
Pour sortir de cette situation, nous devons nous débarrasser de l’afro-pessimisme et nous mettre au travail. Chacun doit travailler. Autrement dit, entre l’État et l’individu, chacun doit jouer sa partition pour amorcer le chemin d’une Afrique émergente.
Oumar Kateb Yacine Analyste-Consultant Géopolitique
Contact: bahoumaryacine777@gmail.com