La République de Guinée vient d’écrire, dans le silence solennel du droit et la ferveur du peuple, l’une des pages les plus singulières de son histoire institutionnelle.
La nouvelle Constitution, adoptée par le suffrage populaire et promulguée par le Président de la Transition, le Général Mamadi Doumbouya, marque l’achèvement juridique de la transition ouverte le 5 septembre 2021. L’élection présidentielle du 28 décembre 2025 se profile à l’horizon comme la promesse d’un recommencement.
Mais, déjà, l’esprit public s’interroge, partagé entre la mémoire des engagements et la dynamique du renouveau : le Général Mamadi Doumbouya, artisan de la refondation, peut-il et doit-il être candidat à la magistrature suprême ?
De la légalité à la légitimité : la souveraineté comme point d’équilibre
Le juriste autrichien Hans Kelsen enseignait que le droit tire sa validité non d’un texte, mais d’un acte de volonté souveraine. Or, le peuple guinéen, en adoptant la Constitution de 2025, a exercé ce pouvoir constituant originaire, qui fonde et efface tout à la fois.
La Charte de la Transition, dans laquelle figurait l’interdiction de candidature du président, appartient désormais à un ordre juridique abrogé. Elle a été, pour reprendre le mot du constitutionnaliste Georges Vedel, un « instrument de passage », non une norme de pérennité.
Ainsi, en droit pur, rien absolument rien, n’interdit au Président de la transition, le Général Mamadi Doumbouya de se soumettre au suffrage universel. Toute autre lecture reviendrait à placer la transition au-dessus du peuple, et la morale administrative au-dessus de la souveraineté nationale. Mais le droit n’est pas toute la politique. Et la politique, lorsqu’elle touche au destin des nations, doit s’enraciner dans la légitimité morale du geste fondateur.
Le dilemme moral du fondateur
En 2021, au moment de l’investiture et à dans plusieurs déclarations, le Général Doumbouya affirmait qu’il ne serait pas candidat à la future élection. Cette parole, prononcée dans la ferveur d’un serment républicain, a eu valeur de promesse. Mais le temps, en politique, n’est pas celui du serment : il est celui de la responsabilité.
Le philosophe Paul Ricoeur rappelait que « la promesse n’est pas un lien d’esclavage, mais un acte de fidélité lucide ». Fidélité, non à la lettre, mais à l’esprit celui de la refondation, de la reconstruction, du salut collectif. Dès lors, la véritable question n’est plus : le Général Doumbouya a-t-il le droit d’être candidat ?
Mais plutôt : le peuple guinéen doit-il être privé du droit de le choisir ? Interdire sa candidature, ce serait substituer à la liberté civique un paternalisme constitutionnel. Ce serait dire au peuple : ‘‘nous vous faisons confiance pour voter, mais pas pour choisir entre tous’’. C’est, au fond, une contradiction démocratique.
Le peuple comme juge suprême
La démocratie ne se défend pas en interdisant, mais en permettant. Ce n’est pas l’absence de candidatures qui garantit la vertu des urnes, mais la maturité du corps électoral.
Depuis Montesquieu, nous savons qu’un peuple libre ne se corrompt pas par l’abondance du choix, mais par la raréfaction des alternatives. Et c’est bien là tout l’enjeu : si la transition guinéenne devait aboutir à refermer le jeu politique sur les figures d’hier, elle se renierait elle-même. La refondation n’a pas été conçue pour restaurer le vieux système, mais pour le dépasser. Le Général Doumbouya, qu’on l’admire ou qu’on le critique, incarne pour une large partie de la population le visage du renouveau, celui d’une génération qui a brisé les fatalités politiques héritées des décennies passées. L’empêcher de concourir reviendrait à refermer l’horizon du possible, à étouffer dans l’œuf la respiration démocratique que la refondation avait promise aux premières heures de la transition.
La rupture nécessaire : du pouvoir d’État à l’État de pouvoir
Les transitions africaines ont souvent échoué parce qu’elles ont confondu la sortie du militaire avec le retour des civils, alors qu’il s’agissait de passer du pouvoir d’État à l’État de pouvoir c’est-à-dire, d’un État qui domine à un État qui émane. En ouvrant le jeu politique à toutes les sensibilités, y compris celle du chef de la transition, la Guinée ne ferait pas un pas en arrière : elle consacrerait un principe universel de souveraineté ouverte.
L’expérience du Niger en 2011, celle du Mali plus récemment, ou même celle de l’Égypte post-Moubarak, montrent que la stabilité d’une transition ne dépend pas du statut du candidat, mais de la crédibilité du scrutin. Le danger n’est pas que le Général soit candidat ; le danger serait qu’il soit élu par défaut, faute d’alternatives crédibles.
De l’éthique de la refondation à la philosophie du choix
L’histoire politique est traversée par un dilemme permanent : faut-il préserver la pureté du serment ou la cohérence de la mission ? le Général De Gaulle, en 1958, revint au pouvoir au nom du salut public, rompant son retrait de 1946 et la France y trouva son équilibre. Mandela, au contraire, choisit le retrait, et l’Afrique y gagna un symbole. Chacun de ces choix fut légitime parce qu’il fut fidèle à son contexte. La question, dès lors, n’est pas de comparer, mais de comprendre : qu’attend la Guinée, en 2025, de son fondateur ? Souhaite-t-elle qu’il s’efface au nom d’un idéal, ou qu’il parachève l’œuvre au nom de la stabilité ? Ce dilemme ne se tranche pas dans le secret d’un bureau politique, mais dans la lumière du suffrage. C’est au peuple seul qu’il revient d’arbitrer entre la continuité et l’alternance. Et c’est ce droit, imprescriptible et sacré, que tout juriste, tout politologue, tout démocrate, tout républicain devrait défendre.
Pour une République des consciences
La grandeur d’une République ne se mesure pas à la durée de ses constitutions, mais à la vitalité de ses consciences. En permettant la candidature de tous y compris celle du Président de la transition, le Général Mamadi Doumbouya, la Guinée ne se trahit pas : elle s’accomplit. Car la démocratie ne s’édifie pas sur l’exclusion mais sur la confiance. Et le plus beau signe de maturité politique que puisse donner une nation, c’est d’oser se confronter à son propre choix, sans peur, sans tutelle, sans interdit.
La transition n’est pas une parenthèse : c’est une promesse. Et cette promesse n’aura de sens que si elle aboutit à rendre au peuple guinéen la plénitude de sa souveraineté. Laisser au Général Mamadi Doumbouya la liberté de se présenter, ce n’est pas céder au pouvoir ; c’est reconnaître que le seul maître du destin guinéen, depuis 1958, reste le peuple souverain de Guinée.
Qu’il se trompe ou qu’il éclaire, ce peuple a le droit de choisir. Et c’est peut-être là, dans cette confiance ultime, que réside la véritable grandeur d’un État qui se veut refondateur.
Par Christian Desco Conde, Politologue, Enseignant-chercheur

