Dans toute économie moderne, la monnaie n’a de valeur que lorsqu’elle circule. C’est ce mouvement permanent – du consommateur à l’entreprise, de l’entreprise à la banque, de la banque à l’État, puis à nouveau vers les agents économiques – qui permet la création de richesse.
Or, depuis plusieurs mois, on observe en Guinée un phénomène préoccupant : une part croissante de la monnaie disponible sort de la boucle économique et devient, en quelque sorte, stérile.
De nombreux commerçants, cambistes et autres opérateurs thésaurisent aujourd’hui leurs liquidités dans des coffres privés, de peur – parfois justifiée – de ne pas pouvoir effectuer leurs retraits au moment opportun. D’autres refusent purement et simplement de déposer leurs excédents auprès des banques commerciales, au regard d’un climat d’incertitude généralisée.
D’un point de vue individuel, ce réflexe peut sembler rationnel. Mais au niveau macroéconomique, il produit l’effet inverse : en retirant la monnaie du circuit bancaire, on prive l’économie productive d’oxygène. Le crédit se raréfie, les entreprises peinent à assurer leurs besoins de trésorerie, et les retards de paiement s’accumulent.
Ainsi, une crise de confiance finit par se transformer en véritable crise de liquidité, avec un risque latent de paralysie économique.
Peut-on l’interdire juridiquement ?
En pratique, non, l’État ne peut pas interdire aux commerçants de garder leur trésorerie dans leurs coffres.
La détention d’espèces par les acteurs privés est parfaitement légale et relève de la liberté de gestion de leur patrimoine.
Même si ce comportement est économiquement dangereux, le contraindre par la force serait contre-productif, car cela risquerait de renforcer la méfiance vis-à-vis du système bancaire.
Que faire alors ? La seule réponse réaliste passe par la restauration de la confiance. Cela suppose un signal clair des autorités : assouplissement temporaire des plafonds de retrait, facilités de refinancement dédiées au secteur productif, paiement progressif des arriérés de l’État et communication transparente avec les acteurs économiques. Les opérateurs doivent être convaincus qu’en déposant leurs liquidités, ils ne perdent pas leur capacité d’action, mais contribuent au contraire à remettre en mouvement une machine aujourd’hui grippée.
Une monnaie qui ne circule plus n’est plus un instrument d’échange. Elle devient un simple papier rangé au fond d’un coffre. Le défi guinéen n’est donc pas d’imprimer davantage de billets, mais de réintégrer ceux qui existent déjà dans la boucle économique.
Mohamed Chérif Touré, juriste
Mohamedcheriftoure80@gmail.com