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Les chercheurs guinéens en sciences sociales au service de l’entente, de l’unité nationale et de la cohésion sociale (Dr Abdoulaye Wotem Somparé et Dr Ester Botta Somparé)

C’est avec une très grande joie que nous avons suivi en direct les cérémonies de signature du Pacte d’Entente Nationale pour la Paix, l’Unité et la Cohésion Sociale en République de Guinée, présidée par le premier Ministre, son excellence Monsieur Bah Oury.

Nous nous réjouissons vraiment de cette initiative, d’autant plus que ce pacte s’appuie essentiellement sur les résultats d’une recherche en sciences sociales que nous avons mené grâce au financement du PNUD, familier de ces belles initiatives et à la gestion du CIRD dirigée par Dr Safiatou Diallo et le doyen Oury Diallo. Cette recherche a porté sur les modalités de résolution des conflits et sur la représentation des droits de l’homme dans les quatre régions naturelles de la Guinée. L’idée de droits universels ne va pas de soi, dans une planète où il y a une grande diversité culturelle ; les droits de l’homme peuvent apparaitre, comme l’ont montré plusieurs juristes, comme une valeur sociale occidentale, qui vient s’exporter et s’imposer en Afrique. C’est pourquoi l’originalité de cette étude a été de se demander si les droits de l’homme existent déjà, peut-être exprimés autrement, dans les différentes sociétés de la Guinée et si des mécanismes sont mis à l’œuvre pour les préserver et réparer leurs violations dans les situations conflictuelles.

L’un des objectifs majeurs de cette recherche a été aussi de repérer des savoirs endogènes et des bonnes pratiques de résolutions des conflits enracinés dans nos traditions. Ainsi, les enseignants chercheurs senior en sciences sociales des Universités Général Lansana Conté de Sonfonia et de l’université Julius Nyerere de Kankan accompagnés de leurs assistants, se sont rendus chacun dans leur région respective. Il s’agit des chercheurs senior Dr Ester Botta Sompare, Dr Abdoulaye Wotem Sompare, Dr Bolivard Grovogui, Dougo Kpapkavogui, feu Dr Kaliva Beavogui, Dr Mohamed Sacko, Dr Sounoussy Diallo, Dr Raymond Augustin Gnimassou. Ces chercheurs ont composé une équipe pluridisciplinaire, composée par des anthropologues et des sociologues, des philosophes et des historiens. Ils sont allés fouiller, observer, écouter et analyser les facteurs de coexistence pacifique, les modes de résolution des conflits et les anciens pactes scellés entre les communautés, comme le pacte de Gouecké en Guinée Forestière, prônant la coexistence pacifique entre les Toma et les Guerzé . N’oublions pas l’un des plus anciens pactes, qui dépasse même les frontières de la Guinée : la charte de Kouroukan Fouga. Le premier résultat que nous avons trouvé est le fait que, si la déclaration universelle des droits de l’homme est peu connue en dehors des autorités de l’Etat et des juristes, les sociétés guinéennes ont traditionnellement reconnu certains droits et ont cherché à les préserver.

Pensons, par exemple, à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui proclame le droit à la vie, à la sécurité et à la liberté. Dans toutes les régions, des mécanismes ont été mis en place pour assurer la sécurité des citoyens. Si, en Guinée Maritime, Simoe et Bansonyi de la Forêt sacrée de Kakandé ne sortent plus depuis la fin des années 1990 pour assurer la surveillance et maintenir la sécurité de manière dissuasive, les simbo de la Haute Guinée, notamment de Dialakoro, continuent de jouer pleinement ce rôle. A Kantedou Balandou, à la frontière malienne, les simbo, héritiers de la bravoure et des savoir-faire guerriers de Samory Touré, aident nos militaires à assurer la sécurité de notre territoire face à la menace terroriste. Face à l’augmentation du nombre des conflits fonciers, que ce soit à Tanene, Boffa, jusqu’à Boké, les kountigui viennent à la rescousse de la justice en tant que dépositaires de l’histoire, capables de reconnaitre les descendants des premiers occupants d’un territoire et de reconstituer l’histoire des vagues de migration, des déplacements, de l’accueil et de la protection des étrangers. Ils sont aussi dépositaires des méthodes de dialogue de l’arbre à palabre qui rétablissent la justice sans humilier les coupables mais, comme le dit le philosophe Jean-Godefroy Bidima, en aménageant pour chacun une porte de sortie qui permettra de préserver le lien social. En termes de protection des droits des couches les plus fragiles, telles que les enfants, le système de fosterage (confiage) des enfants protégeait les orphelins, à une époque où il n’obéissait pas au besoin d’exploiter la main d’œuvre enfantine dans les villes.

Il ne s’agit pas, cependant, de promouvoir une vision idéalisée des sociétés africaines d’antan qui étaient, comme toutes les sociétés du monde, traversées par des inégalités et des conflits manifestes et latents. Il s’agit plutôt de s’inspirer de certaines traditions assurant la coexistence pacifique et le respect des droits de l’homme, comme les pactes permettant la rotation de l’imamat dans la ville de Boké entre peul, diakhanké et landouma, où les quatrorze ethnies de la ville ont d’ailleurs renoncé au poste de utemu ou de kountigui, attribué désormais aux autochtones landouma. Dans l’Etat théocratique du Fouta Djallon, il y a également eu une séparation du pouvoir religieux et politique dans un souci d’alternance et de partage de pouvoir. Or, de nos jours il y a des conflits de succession au sein des coordinations régionales, mais nous ne partons pas pour autant puiser dans nos traditions pour chercher des solutions dans les modes de résolution traditionnelles des conflits, tout en essayant de les mettre à jour.

La Guinée est confrontée aujourd’hui à des nouveaux défis, qui minent non seulement le lien social, mais aussi les droits de l’hommes qui semblent préoccuper davantage tous nos interlocuteurs : le droit au travail et à la rémunération décente et le droits à la propriété, en particulier à la propriété foncière. Ces conflits surgissent face à l’émergence de nouveaux acteurs économiques, avec la surexploitation minière, source de la valorisation et de l’inflation des prix des terrains, des querelles familiales autour des compensations.

L’appropriation des terres par les élites économiques ou politiques et les aînés dans les familles, au détriment des cadets et des femmes, est aussi un phénomène inquiétant. Or, en se référant encore une fois à l’organisation familiale et sociale que nos anciens nous ont légués, les femmes, même si elles sont répudiées ou reléguées au second plan dans un contexte de polygamie, doivent toujours trouver un abri dans les familles élargies de leurs maris ou dans leur famille d’origine. C’est pourquoi les législateurs et les décideurs politiques doivent descendre de leur piédestal pour aller vers les communautés, en empruntant le pont de l’anthropologie juridique et de l’histoire, afin de prendre en compte tous ces savoirs et de les mettre à jour en les adaptant aux contraintes du présent , aux exigences et aux enjeux de la société moderne guinéenne. Les juristes praticiens du droit romain devraient aussi emprunter ce pont pour que leur pratique soit éclairée par une meilleure connaissance de nos réalités socio-culturelles. C’est déjà un grand pas de reconnaitre, à travers cette signature, l’autorité des leaders traditionnels et des responsables des coordinations et leur rôle primordial dans la préservation de la paix et de l’entente nationale. Le risque, c’est que cela se limite à une journée sous les projecteurs des media, dans une société ou les activités culturelles sont souvent abordées de manière spectaculaire et superficielle, à l’instar de la mamaya. Il s’agit par contre d’ouvrir un véritable chantier d’archéologie des savoirs endogènes, dont les résultats doivent être intégrés dans les programmes scolaires et dans les projets de recherche de nos universités. Même l’écriture d’une constitution qui est actuellement en cours de diffusion, si elle se veut efficace et donc adapté à nos réalités, ne peut pas faire l’économie de telles connaissances et pratiques endogènes. Il s’agit là du défi de la collaboration et de la communication entre les mondes académique et les autorités de l’Etat , afin de rendre ce patrimoine une mémoire vivante, dans laquelle nos décideurs pourront puiser.
Vive l’Université guinéenne au service de l’entente, de l’unité nationale et de la cohésion sociale !

Dr Abdoulaye Wotem Somparé et Dr Ester Botta Somparé

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