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Quelles perspectives devraient être envisagées pour renforcer notre capacité à faire face aux urgences sanitaires ? Telles que la vente illicite de médicaments, en République de Guinée ?

I-État des lieux :
Depuis le décès du premier régime dans les années 1984, la Guinée dépend lourdement de l’importation anarchique et exponentielle de médicaments et de dispositifs médicaux, dont les sources restent floues, pour répondre aux besoins de ses 14 millions d’habitants sur les 245 857 km2. Avant la chute du premier régime, la République de Guinée fabriquait de nombreux médicaments, tels que la chloroquine à Sérédou, dans la préfecture de Macenta. Aujourd’hui, ce lieu évoque un cimetière, où le seul bruit que l’on entend est celui des oiseaux.

Il y a quelques années, la Guinée comptait plus de 100 sociétés grossistes pour une population de 14 millions d’habitants, tandis que tout le Maroc n’avait pas plus de dix sociétés grossistes en 2018. Notre pays est ainsi devenu une plaque tournante pour la vente illicite de médicaments, causant des milliers de dégâts humains, et ce, au su des autorités. La multitude d’acteurs favorise le trafic et la corruption à toutes les étapes de la chaîne, y compris aux douanes, rendant la répression complexe. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le commerce mondial de produits pharmaceutiques contrefaits représentait jusqu’à 200 milliards de dollars US en 2020.

Une étude réalisée par un groupe de chercheurs dans le cadre d’une évaluation des menaces liées à la criminalité transnationale organisée dans la région du Sahel a révélé qu’entre janvier 2017 et décembre 2021, au moins 605 tonnes de produits médicaux ont été saisies en Afrique de l’Ouest lors d’opérations internationales. Les ports maritimes de Guinée, du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigeria ont été identifiés comme les principaux points d’entrée de ces produits destinés aux pays sahéliens.

En 2022, une enquête réalisée par le site guinéen Guineenews a révélé que les médicaments d’origine douteuse, pour la plupart dangereux, contrefaits ou périmés, représentaient près de 70 % des médicaments vendus en Guinée. Le commerce des faux médicaments y dégagerait un chiffre d’affaires estimé à des centaines de milliards de francs guinéens. Un faux médicament est un produit délibérément et frauduleusement détenu par une personne non qualifiée.

En Guinée, ce délit n’est pas sanctionné à sa juste valeur, car les peines encourues varient entre 5 et 10 ans de prison. Avant le 5 septembre 2021, la ville de Kankan, située à 600 km de la capitale Conakry, comptait plus de 100 boutiques de faux médicaments. Incroyable !

II-Impact de la vente illicite des médicaments sur la santé publique :
La vente de médicaments dans les rues constitue aujourd’hui un phénomène préoccupant pour notre pays, posant d’énormes problèmes de santé publique en menaçant le bien-être physique, mental et social des populations. Ces médicaments contrefaits, souvent vendus par des professionnels non qualifiés, contiennent des substances toxiques ou inactives, avec un dosage incorrect, entraînant des effets néfastes graves et un échec thérapeutique significatif. Ils sont responsables de résistances bactériennes accrues et de maladies iatrogènes.

Les populations à faible revenu se tournent souvent vers le marché parallèle, aggravant ainsi les inégalités sociales en matière de santé. La vente illicite de médicaments alimente des activités illégales, telles que la criminalité organisée, la toxicomanie et la concurrence déloyale. De plus, le marché illicite impacte la vitalité de notre système de santé, entraînant une augmentation des coûts de traitement des complications liées à la consommation de faux médicaments, une saturation des hôpitaux, et une méfiance des patients envers les traitements prescrits par de vrais professionnels de santé.

III-Déficit et renforcement de la régulation :
Le déficit de régulation dans le domaine de la vente de médicaments contribue systématiquement à l’essor des marchés illicites, mettant ainsi en péril la santé publique. Les législations sont mal appliquées sur le terrain, laissant des lacunes que les acteurs malveillants exploitent parfois en complicité avec certains cadres du secteur pharmaceutique. Par exemple, le contrôle au port autonome de Conakry est défaillant, permettant l’entrée de faux médicaments, dont les détenteurs utilisent des diplômes de pharmaciens reconnus par l’Ordre National des Pharmaciens de Guinée, souvent avec la bénédiction de certains fonctionnaires malhonnêtes du ministère de la Santé.

Le secteur pharmaceutique partage le même sort que le trafic de drogues, c’est un circuit très vicieux. Il revient à l’État de mettre en place des mécanismes de contrôle rigoureux et des stratégies efficaces pour renforcer la capacité opérationnelle des services spéciaux, qui travaillent d’arrache-pied pour démanteler toutes les structures illicites. Le renforcement des lois et des sanctions contre les vendeurs de faux médicaments est crucial pour sauver ce secteur. En durcissant les peines contre ces criminels, on dissuade la circulation de médicaments dangereux et non réglementés sur notre marché.

Le système de santé en Guinée est organisé selon une pyramide sanitaire qui englobe à la fois des aspects administratifs et des aspects liés aux soins. Plusieurs acteurs participent à la sécurisation du flux des produits pharmaceutiques : au niveau central (Direction nationale de la pharmacie et du médicament, Pharmacie Centrale de Guinée, programmes de santé, hôpitaux nationaux), au niveau intermédiaire (inspections régionales de la santé et hôpitaux régionaux), au niveau périphérique (directions préfectorales de la santé, hôpitaux préfectoraux, centres médicaux communaux et ONG), et au niveau opérationnel (postes de santé, services communautaires).

Ces acteurs représentent une opportunité importante pour une gestion concertée, sécurisée et rationnelle des médicaments en République de Guinée.

En renforçant leur capacité opérationnelle, nous garantissons une utilisation rationnelle et optimale des médicaments pour le bien-être des patients.

IV- Pauvreté et accès limité aux soins :
La pauvreté contribue à la croissance des marchés illicites en Guinée, car les populations à faibles revenus sont souvent contraintes, par manque d’informations, de rechercher des alternatives moins coûteuses pour se soigner. L’accès limité aux soins et aux médicaments incite les populations à se tourner vers le marché parallèle, où les produits disponibles sont souvent dangereux et inefficaces.
Cela souligne les difficultés rencontrées par la Pharmacie Centrale de Guinée à approvisionner les structures sanitaires en médicaments essentiels. Si les points de vente des services de santé ne sont pas correctement approvisionnés, cela incitera les patients à se tourner vers le marché noir.

V-Recommandations :
Pour restaurer la confiance des consommateurs dans notre système de santé et assurer un accès à des traitements sûrs, plusieurs recommandations peuvent être envisagées :

-Renforcement systématique des réglementations : Le ministère de la Santé, en collaboration avec la gendarmerie et la police, doit faire respecter les lois régissant notre secteur pour dissuader les criminels.

  • Renforcement des capacités opérationnelles de la Pharmacie Centrale de Guinée : Il est essentiel d’améliorer la gestion des approvisionnements grâce à des technologies avancées et de former le personnel sur la chaîne d’approvisionnement et établir ensuite des contacts stratégiques et efficaces avec les structures déconcentrées et les fournisseurs pour permettre d’assurer un approvisionnement stable. Surtout la transparence dans le processus d’achat des médicaments par la PCG contribuerait à renforcer la confiance et l’efficacité au sein de la chaine d’approvisionnement.
  • Sensibilisation des citoyens sur les dangers des faux médicaments : Il est important de mener suffisamment des campagnes d’information ciblées dans les villes du pays, utilisant des supports visuels et des témoignages réels pour illustrer les conséquences graves de la consommation des médicaments de la rue.
    Les ateliers communautaires peuvent également être organisés pour expliquer comment identifier les signes de faux médicaments et pourquoi refuser les boutiques de faux médicaments. Collaborer avec les pharmacies hospitalières et les professionnels de santé permet de lutter en synergie efficacement contre ce fléau.
    Les réseaux sociaux offrent aujourd’hui une plateforme efficace pour atteindre un large public, en partageant des infographies et des vidéos percutantes. Enfin, impliquer tous les pharmaciens titulaires d’officines et les étudiants aider à toucher un public plus jeune et à créer un mouvement collectif contre ce fléau. Une approche continue et synergique maximisera l’impact de ces efforts.

-Utilisation de la nouvelle technologie : Le développement d’applications de traçabilité et la mise à disposition d’un numéro vert pour dénoncer les boutiques fantômes sont des mesures à envisager.

Conclusion :
La lutte contre la vente illicite de médicaments nécessite une approche collaborative, alliant sensibilisation, innovation technologique et engagement communautaire. Chaque acteur, des consommateurs aux professionnels de santé, joue un rôle crucial dans cette bataille. En renforçant la traçabilité et en éduquant les populations, nous pouvons réduire l’impact de ce fléau sur la santé publique.

À l’occasion de la journée du 25 septembre 2024, dédiée aux pharmaciens du monde, je souhaite une excellente fête à tous les pharmaciens de Pharmaciens, qui sont en première ligne pour garantir l’accès à des soins de qualité et à des médicaments sûrs.

Dr. Karamo KABA
Pharmacien Rétrovirologue, Enseignant chercheur, Ecrivain Spécialiste en Gestion des hôpitaux et services de santé Tatakaba66@gmail.com
Wattps : +224 628 49 78 95

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