Une Constitution nouvelle pour un avenir nouveau ?
Alors que la Guinée s’apprête à tourner la page d’une transition politique délicate, le projet de nouvelle Constitution suscite à la fois espoir et interrogations. Présentée comme une base de refondation institutionnelle et démocratique, cette future Loi fondamentale devra incarner les aspirations profondes du peuple guinéen à la justice, à la stabilité et à l’État de droit. Mais tient-elle toutes ses promesses ?
Des acquis notables à saluer
1. L’élargissement des droits fondamentaux
Le projet garantit un éventail élargi de droits civils, politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Il reconnaît notamment le droit à l’eau, à un environnement sain, à l’alimentation, ainsi que les droits culturels et linguistiques. Cette reconnaissance, en phase avec les standards internationaux, ouvre la voie à une meilleure prise en compte des besoins sociaux des citoyens.
2. La promotion des principes républicains
Le texte affirme le caractère laïc, unitaire et indivisible de l’État, tout en valorisant la diversité culturelle et linguistique du pays. La protection des minorités et la promotion des langues nationales y trouvent une place appréciable, gage d’unité dans la diversité.
3. Un pas vers l’équilibre des pouvoirs
La nouvelle Constitution prévoit des mécanismes de contrôle démocratique, en renforçant les institutions comme la Cour des comptes, la Cour constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature, et la Haute autorité pour la transparence. La limitation du mandat présidentiel à deux termes non renouvelables est maintenue, ce qui est un signal fort en faveur de l’alternance.
Des lacunes préoccupantes
1. Une concentration persistante des pouvoirs exécutifs
Le président de la République conserve des prérogatives étendues en matière de nomination aux postes-clés, y compris dans les organes supposés être indépendants. Cette centralisation peut saper les contre-pouvoirs, et ouvrir la voie à une présidentialisation de fait du régime.
2. Un régime politique flou et déséquilibré
Le projet oscille entre régime présidentiel et semi-parlementaire sans choisir clairement l’un ou l’autre. Le rôle du Premier ministre reste marginal, tandis que les pouvoirs de contrôle du Parlement sont encore faibles. Ce flou pourrait générer des crises institutionnelles à répétition.
3. Une protection juridique encore théorique des droits sociaux
La justiciabilité des droits économiques et sociaux demeure incertaine. Sans mécanismes effectifs de mise en œuvre, ces droits risquent de rester des promesses creuses, dépendantes de la volonté politique du moment.
4. L’absence de verrous solides contre les révisions opportunistes
Le projet ne verrouille pas assez fermement les dispositions relatives aux mandats présidentiels. Or, l’histoire constitutionnelle guinéenne récente a montré combien l’absence de clauses d’intangibilité peut être un facteur d’instabilité.
Que faut-il améliorer ?
Pour que la future Constitution soit véritablement fondatrice d’une ère nouvelle, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
1. Renforcer l’indépendance de la justice, en garantissant l’autonomie réelle du pouvoir judiciaire, y compris par une réforme du mode de nomination des magistrats.
2. Clarifier le régime politique, en définissant nettement la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif.
3. Protéger les principes démocratiques par des clauses d’intangibilité irréversibles (durée des mandats, indépendance des juges, pluralisme…).
4. Créer des mécanismes de participation citoyenne, tels que l’initiative populaire, la consultation locale ou la transparence budgétaire.
5. Constitutionnaliser le droit à l’accès à l’information publique, pilier fondamental de la démocratie participative.
Conclusion : un socle à solidifier
Le projet de nouvelle Constitution guinéenne est porteur d’espoir. Mais l’histoire nous enseigne que les plus beaux textes peuvent être détournés si leur contenu reste vague ou inapplicable. La Guinée a aujourd’hui l’occasion historique d’ériger une Constitution qui ne soit pas seulement un instrument de pouvoir, mais un pacte de confiance entre l’État et le peuple.
Cela passe par une rédaction plus rigoureuse, une concertation inclusive, et une appropriation populaire à travers l’éducation civique, la transparence du processus référendaire et l’engagement des forces vives de la Nation.
Parce que la Constitution n’est pas un texte figé, mais un projet de société vivant, il appartient à chaque Guinéenne et à chaque Guinéen de veiller à ce qu’elle reflète réellement notre volonté collective de construire une République juste, démocratique et durable.
Par Mohamed Chérif Touré
Juriste, spécialiste en droit constitutionnel et en droits de l’homme