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Parole donnée, Constitution et Destin : quand le devoir réécrit l’engagement politique (Par Christian Desco Condé)

Résumé

Cet article propose une méditation profonde sur la tension délicate entre la parole publique, la promesse de non-candidature d’un chef de transition et le devoir historique qui commande parfois de réévaluer ce type d’engagement. Il explore la performativité de la parole politique, la hiérarchie des normes, les implications juridiques de la nouvelle Constitution guinéenne, les enjeux de légitimité sociale et morale, pour aboutir à une synthèse normative sur la possibilité d’une candidature.
La parole publique : entre symbole et responsabilité
Dans le tumulte des transitions africaines, la parole d’un dirigeant ne se borne point à un simple énoncé ; elle s’élève telle une sentinelle du temps, oscillant entre mémoire et horizon, promesse et devoir. Comme l’écrivait Léopold Sédar Senghor, « La parole est déposée dans le temps, elle lie les vivants aux ancêtres et aux générations à venir » (Senghor, 1964, Liberté I), révélant la profondeur d’un acte verbal qui traverse l’instant. Cheikh Anta Diop soulignait, pour sa part, qu’« Un peuple sans mémoire ne peut fonder d’institutions stables, et une institution sans projet est une coquille vide » (Diop, 1981, Nations nègres et culture). Ainsi, chaque mot prononcé par un chef d’État est un fil tendu entre le passé, le présent et l’avenir.

La parole publique remplit une fonction double : elle rassure et pacifie, tout en inscrivant l’acteur dans la grande fresque de l’histoire. Toutefois, une promesse formulée dans l’urgence ne fixe pas éternellement l’ordre politique. Sa signification ne peut se comprendre qu’au regard des institutions et des événements qui la suivent. Il faut donc envisager la parole comme un phénomène à la fois symbolique et stratégique, dont la portée dépend du contexte, de l’histoire et de l’éthique du temps.
La Constitution : pierre angulaire de la légitimité
La Constitution dépasse le cadre du droit écrit ; elle est la colonne vertébrale de la légitimité politique. Montesquieu affirmait avec éclat : « Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutif » (Montesquieu, 1748, De l’esprit des lois), et Rousseau rappelait : « La souveraineté ne peut être représentée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale » (Rousseau, 1762, Du Contrat social). La Constitution guinéenne, adoptée et promulguée, définit le cadre de l’alternance, trace les règles de l’éligibilité et encadre la légitimité de toute candidature. Aucun engagement verbal, aussi solennel fût-il, ne saurait supplanter cette norme fondamentale. Hans Kelsen, en sa théorie pure du droit, rappelait que « Toute norme juridique tire sa validité de la norme fondamentale » (Kelsen, 1962), soulignant que la loi écrite prime sur l’oralité et la morale individuelle. La Constitution, incarnation de la volonté populaire et du pacte social, permet donc au Président de la Transition de se porter candidat tout en respectant la légalité, tandis que sa parole initiale demeure un repère moral inscrit dans la mémoire collective.
Devoir historique et éthique de la responsabilité
La parole donnée est un acte moral, mais nullement absolu. Kamel Daoud écrivait : « Il faut savoir, parfois, trahir sa promesse pour ne pas trahir son peuple » (Daoud, 2025, Il faut parfois trahir). Aimé Césaire, lors de son discours à l’UNESCO en 1958, rappelait que « Le monde exige plus que des promesses, il exige la force de transformer l’espérance en réalité ». Ces réflexions indiquent que la nécessité de gouverner, de stabiliser et de consolider un État peut primer sur la fidélité rigide à un engagement initial. Nelson Mandela rapporte : « L’histoire m’a appelé, et il était de mon devoir de répondre » (Mandela, 1994, Long Walk to Freedom), tandis que le Général De Gaulle considérait que la continuité de l’État surpassait la fidélité personnelle (De Gaulle, 1965, Mémoires de guerre).
Le leadership s’inscrit ainsi dans une temporalité historique, au confluent de la légitimité symbolique et de la responsabilité collective. Souleymane Bachir Diagne observait : « L’art de la politique consiste à ajuster la mémoire des engagements avec l’exigence des circonstances » (Diagne, 2008, La philosophie africaine, enjeu de la modernité). Dans ce cadre, la parole initiale du Président se transforme en jalon de légitimité et en engagement envers le projet national. Elle se réinterprète à la lumière de la Constitution, conservant sa valeur morale et s’inscrivant dans une trajectoire historique et institutionnelle.

Mémoire, projet et cohésion dans la transition
Depuis 2021, la Guinée se reconstruit sur de nouvelles bases : administration consolidée, gouvernance moralée, réforme sécuritaire et économique. Selon Huntington, les transitions de refondation diffèrent des transitions pactées (Huntington, 1991, The Third Wave). La situation guinéenne relève de la refondation : le pays invente de nouvelles institutions et ne reproduit pas l’ancien modèle. Dans ce contexte, la parole initiale du Président devient intention historique, tandis que la Constitution transforme cette intention en légitimité durable.
Pour que le dépassement de la parole initiale soit moralement défendable, il faut que la décision s’inscrive dans la légalité, que le candidat adopte des garanties strictes de transparence et de reddition de comptes, que la société dispose de mécanismes de sanction en cas d’abus, et que la finalité poursuivie soit la consolidation institutionnelle plutôt que l’intérêt personnel. Cette éthique de la responsabilité articule morale, droit et intérêt collectif, guidant l’action politique dans le temps long.
Les exemples de Mandela ou de De Gaulle montrent que, parfois, la prise du pouvoir par un chef providentiel permet la refondation des institutions. Mais l’histoire comporte aussi ses avertissements : la conversion d’une promesse en candidature peut engendrer personnalisation du pouvoir et blocage démocratique. La soutenabilité d’un tel choix dépend donc de la solidité des institutions, du comportement du leader et du jeu des acteurs.
Synthèse et conclusion
La parole donnée conserve une portée morale et symbolique, tandis que la Constitution promulguée fixe l’espace juridique de l’action politique. La permissivité constitutionnelle ouvre une possibilité ; elle n’impose point un destin. La légitimité politique dépend de la manière dont cette possibilité est exercée.
Ainsi, à la lumière du texte constitutionnel adopté, rien n’empêche formellement le Président de la Transition de se porter candidat. Cette permissivité juridique ne constitue qu’une première étape : sa pérennité repose sur la mise en place d’une élection libre, compétitive et acceptée. Si la candidature respecte la Constitution, s’accompagne d’engagements publics contraignants et d’une procédure électorale transparente, elle pourra être défendue comme un acte de responsabilité historique. En revanche, si elle est instrumentalisée pour verrouiller le pouvoir, elle générera une légitimité formelle mais non substantielle.
La fidélité ne réside pas dans l’obéissance mécanique à une promesse, mais dans la capacité à concilier parole, devoir et intérêt collectif. La parole initiale demeure symbole et repère moral, tandis que le devoir historique devient horizon d’action. En assumant sa candidature, le Président de la Transition ne renie pas sa parole : il la sublime, au service de la refondation nationale et de la légitimité populaire, inscrivant son action dans le temps long de l’histoire.

Par Christian Desco Condé, politologue, enseignant-chercheur

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