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« Parlons en tant que républicains, la religion nous divise » (Ali Camara)

Mon veritable débat sur la polémique autour de l’homelie de notre respecté Cardinal Robert Sarah.

Il me semble toujours problématique de prendre position au nom et pour le compte de l’église catholique sur des questions domaniales du temps colonial, si on veut être sincère. Je ne dis pas que l’église actuelle ne puisse pas avoir ses terres, mais pour l’église du temps colonial, c’est une autre histoire qu’il faut aussi avoir le courage de décrire. Dès lors que le Cardinal a posé le principe de la restitution des cases de Bellevue à l’Eglise et au nom de l’Eglise, il a malheureusement raté sa communication. Ce qui est sidérant – puisqu’il faudrait bien oser le dire – c’est de refuser la propriété de Sékou Touré et reconnaître tout de suite celle de l’église. Cela est par principe, le fait d’accepter tacitement « l’accaparement » de nos terres par l’église catholique. Ce n’est pas un débat religieux ici, mais historique. C’est comme si un Malinké qui refuserait le Poular comme langue officielle de la Guinée, au prétexte que le Français est mieux et vice-versa. Ce serait ignorer la dangerosité de tels propos. Et au sujet de l’aéroport sur lequel je ne vais pas m’attarder pour l’avoir évoqué à plusieurs reprises ( ci-joint un lien qui donne ma position ), il intéressant de dire que le Cardinal Robert Sarah aurait pu le dire autrement. Son statut d’homme de Dieu, estimé de tous les guinéens, sans exception et le fait qu’il soit souvent sujet de consensus font qu’il ne devrait pas prendre position, quand cela peut diviser davantage. Il parmi ceux qui peuvent nous rapprocher malgré nos positions clivantes. Ses ressentiments personnels doivent cesser au profit de son devoir d’unification. Toujours est-il que c’est un homme et comme tous les hommes, il peut se tromper.

Je veux être clair. C’est pourquoi il est préalablement utile de déterminer le rôle de l’église dans la colonisation. Ce sera bref. C’était avant tout des missionnaires au service d’un ordre impérialiste. C’est l’église dont le clergé était exclusivement blanc, et les indigènes des « sous-hommes » avec cette classification des races par laquelle le noir passait en dernier de la race humaine. Avions-nous oublié ? C’était le travail forcé «soutenu» par les « hommes de Dieu »; la spoliation de nos terres et le profit sur la colonisation. L’église catholique pour ce qui nous concerne, l’esclavage, l’entreprise de la Colonisation, de la chosification des noirs ont fait d’antan bon ménage. Des livres et des témoignages existent. Ce sont des faits qu’on ne saurait balayer par le fait que nous sommes devenus de  » bons chrétiens ». Ce n’est pas donc un procès fait à la religion, mais aux hommes temporels qui à un moment donné ont biaisé le Message. Sinon étant musulman, j’ai moi-même préférer faire mon collège et mon lycée dans une école catholique. J’ai récité autant de fois « Notre père qui aux cieux… Je vous salue Marie… » J’ai été à l’église et j’aimais discuté avec les prêtres. À la Cathédrale de Nzérékoré, je ne suis pas un étranger. Je disais ceci à L’prince des Nuées
qui est un ami chrétien – catholique si je ne me trompe – afin d’illustrer ce lien à l’église qui nous est commun, un passé qui fait autant de moi ce que je suis et détermine mes rapports aux autres, par la compréhension et la tolérance. Et je n’ai pas gêne à donner ma position sur ce sujet, parce qu’au fond ce qui me motive, c’est le vivre ensemble et la construction de ce destin commun.

Je rappelle cet autre fait à juste titre. Il y a quelques mois, j’ai été moi-même interpellé et quelques fois décrié dans l’affaire Nanfo par beaucoup de coreligionnaires, pour avoir défendu l’imam, en quelques sortes. Je n’avais aucunement manqué de leur rappeler le rôle hégémonique des arabes et assimilés dans l’esclavage et l’asservissement de nos peuples. J’ai réitéré à plusieurs reprises ce rôle hégémonique et d’ascendance de l’arabe sur nos cultures, nos habitudes au point que certains m’ont clairement identifié en anti-musulman ou adepte d’un certain *Paganisme. J’ai parlé d’arabisation de l’islam qui est le contraire de son caractère universel, aussi du caractère laïc de notre pays qui doit transcender les questions religieuses.

C’est cela mon débat : cultiver l’esprit républicain. Ce n’est pas parce que je suis musulman que je puis fermer aujourd’hui les yeux sur l’invasion des arabes et le rôle néfaste des routes de négoce. Il est toujours utile de rappeler aux africains que le commerce avec les arabes a ouvert la porte sur l’Afrique continentale aux occidentaux. Aucun arabe n’était dans les champs de coton au Brazil pour autant ! N’est-ce pas curieux ? Cependant c’est un fait historique dont je ne suis pas le seul « dépositaire ». Aussi, faut-il insister à dire que ce sont ces mêmes entités qui ont envahi nos empires. Ma foi peut-elle effacer cela ? Je ne saurai jamais rencontrer Dieu si je renie mon histoire et ma culture. Parce Dieu est pour tous les peuples et l’islam est universel selon la Parole. C’est qui me permet de vivre ma foi en toute connaissance de cause. Si j’ai hérité de mon nom et de mon ethnie, aujourd’hui je ne puis en dire autant de ma foi. Pour ma foi, j’ai fait moi-même le choix. Oui, aujourd’hui j’ai le choix.

À la seule différence de l’Islam qui reste plus ou moins une question de rattachement individuel de personnes à une religion, l’Eglise catholique a à la fois un État et un clergé qui y dévoué exclusivement. Je peux me tromper sur l’ordre de citation. C’est dire que c’est peut-être un Etat qui a une église et un clergé à son service. Ma foi que je ne suis pas le seul à dire cela ! Je pose le débat simplement. Parce que voyez-vous, c’est un euphémisme de dire que nous avons des compatriotes qui ne prennent cause et effet que pour le Vatican, et que s’il s’agissait de faire un choix entre leur pays et leur foi, ils choisiront certainement la foi. C’est en tout cas le serment du clergé. C’est cela tout son sens : se consacrer à Dieu et au Saint Pierre.

D’une manière générale, l’islam, tout comme le christianisme, concourent tous à ce complexe africain que nous devons nous départir. Mais c’est également le lieu de reconnaître les efforts de l’Eglise catholique aujourd’hui dans la volonté de tempérer son discours et plaider pour la paix et la communion des civilisations. L’église d’aujourd’hui change et elle comprend mieux la nécessité d’apporter plus de transparence et de tolérance, et comme le célèbre polémiste Alain finkielkraut, « L’église catholique a fini par reconnaître l’indépendance de l’ordre spécifiquement spirituel et par vivre avec. On ne saurait demander moins à l’islam.» Gardons donc la foi dans l’ordre spirituel, intime et parlons de notre pays en tant que fils et filles de Guinée et en tant que républicains.

Pour revenir au sujet initial, et comme j’ai pu l’écrire à quelques amis, il serait préférable – et je puis me tromper – de passer par l’indemnisation des héritiers de Sékou Touré, à travers une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. Cela aurait le bénéfice de calmer les ardeurs et peut être de considérer également tout l’argent investi par l’Etat guinéen dans ce domaine et le fait qu’il soit devenu ne serait-ce que de fait, un patrimoine national. Mais tous ces nerfs dans les discussions sur la toile ressemblent étrangement à « un non-évènement » du fait que ce débat n’est plus nouveau ( précisément celui sur la rebaptisatiom de l’aéroport), et parce que la lettre adressée au Peuple de Guinée et au Président de la Transition est beaucoup plus riche et plus utile qu’on ne devrait la limiter à ces tiraillements. Michel Martine Camara me confiait qu’il serait nécessaire d’éviter les sujets qui nous divisent et se concentrer sur ce qui nous rapproche. « Le Cardinal bénit la Guinée et son peuple, demande aux guinéens, chrétiens et musulmans de s’associer humblement à sa prière pour supplier le Dieu Tout Puissant, de donner aux Président de la Transition et ceux qui gouvernent, sagesse, prudence etc. » m’a-t-il dit. Mais « seules deux (2) idées n’ont été retenues : la rebaptisation de l’aéroport et la restitution des cases de Bellevue à Mme Hadja André Touré, l’épouse de l’ex Président de la République.» regrette-il encore. Ces passages qui suscitent les débats sur les réseaux sociaux sont devenus – dirait-on – le petit point d’huile qui entache tout le papier blanc. Malheureusement. L’Homélie de la Messe pour la Paix, l’Unité, la Réconciliation et la Prospérité de la Guinée ( un document de 7 pages ) a été réduite à ces problématiques subsidiaires. Je comprends ainsi le regret de mon ami, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui besoin de parler de Paix, d’unité, de Réconciliation et Prospérité de notre pays.

Ali CAMARA
New-York, le 31 Décembre 2021

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