Il y a comme un paradoxe troublant dans le paysage judiciaire guinéen, alors que les textes investissent les magistrats du devoir solennel de dire le droit et de garantir les libertés individuelles et collectives , ce sont souvent les avocats , ceux que l’on cantonne parfois au rôle d’auxiliaires de justice , demandeurs ou plaideurs qui montent en première ligne lorsque les droits humains sont piétinés.
Pourtant, toutes les Constitutions Guinéennes jusqu’à la Charte de la transition en vigueur à date et les lois organiques encadrant la magistrature, assignent au juge une mission noble : celle de faire appliquer la loi dans le respect des droits fondamentaux.
Dans les principes, tout est clair. Mais dans la pratique, combien de silences assourdissants face à l’arbitraire ? Combien de décisions judiciaires prises à contre-droit ? Combien d’affaires sensibles où le juge, au lieu d’être le rempart, devient parfois l’instrument docile de la raison d’État ?
Pendant ce temps, le Barreau, avec les moyens limités qui sont les siens, élève la voix. Il alerte, dénonce, interpelle là où les décisions de justice doivent clore tous débats et mettre fin à toutes les formes d’injustice, n’est-ce pas cela le sacerdoce de tout Magistrat?.
Des avocats prennent des risques personnels et professionnels pour défendre des détenus politiques, contester des abus de procédure, ou simplement rappeler à l’État ses engagements en matière de droits humains, ce rôle actif et parfois héroïque du Barreau mérite d’être salué. Il reflète une éthique de résistance que l’on aurait espéré voir partagée par l’ensemble de la chaîne judiciaire.
Mais que s’est-il donc passé pour que les rôles soient inversés ?
Il faut le dire sans détour : la magistrature Guinéenne est affaiblie. Elle est souvent soumise à une hiérarchie pesante, elle évolue dans un environnement où l’indépendance proclamée est minée par les pressions, l’intimidation ou l’autocensure.
Le juge, qui devrait être le dernier rempart contre l’injustice, devient parfois spectateur, voire complice., certains baissent la tête, d’autres baissent les bras. Et l’institution dans son ensemble en ressort décrédibilisée.
Faut-il pour autant blâmer tous les magistrats ? Non. Il existe dans ce corps des femmes et hommes de conviction, qui souffrent en silence ou agissent dans l’ombre. Mais force est de constater que, trop souvent, l’institution ne protège ni ses principes ni ses membres les plus vertueux.
Il est temps que la République se ressaisisse. L’indépendance de la justice ne peut pas rester une promesse abstraite. Elle doit devenir réalité tangible, vécue au quotidien dans les prétoires. Il en va de la crédibilité de l’État, de la confiance des citoyens, et de la stabilité démocratique.
En attendant, il faut rendre hommage au courage du Barreau, à ces Avocats qui défendent les libertés, même quand la justice institutionnelle les oublie. Leur voix, leur engagement, rappellent à tous que les droits humains ne sont pas des faveurs que le pouvoir accorde, mais des droits que la société doit défendre .
Nous vivons un malaise judiciaire sans précédent,Il faut parfois du courage pour dire les choses telles qu’elles sont, même, lorsqu’elles dérangent.
Les textes sont pourtant limpides : la magistrature est investie de la mission de garantir le respect de la loi, de protéger les libertés, de dire le droit en toute indépendance;
Mais que reste-t-il de cette mission quand les tribunaux deviennent muets face à l’arbitraire, quand la justice ferme les yeux sur les détentions illégales, les procès iniques ou les instructions biaisées ?
Pendant ce temps, c’est encore, souvent et toujours le Barreau par des communiqués fermes, des prises de position courageuses ou des plaidoyers engagés qui tente de rétablir l’équilibre;
C’est lui qu’on entend dénoncer les violations de procédure, réclamer la libération de détenus injustement incarcérés, ou rappeler aux autorités que les droits humains ne sont ni optionnels, ni négociables.
Doit-on s’en féliciter ? Oui, pour ce que cela dit du courage et de la lucidité des Avocats guinéens;
Mais doit-on aussi s’en inquiéter ? Absolument. Car quand la parole de vérité ne vient plus des Juges mais de leurs auxiliaires, c’est que l’ordre judiciaire est en déséquilibre, et un déséquilibre dans la justice est toujours un risque pour la démocratie;
Bien sûr, il serait injuste de jeter l’opprobre sur l’ensemble du corps judiciaire. Des magistrats intègres, dévoués et silencieusement résistants existent, et ils méritent de l’estime. Mais on ne peut ignorer que l’institution judiciaire souffre : pressions hiérarchiques, autocensure, crainte de représailles, dépendance politique. Autant de poisons qui rongent l’indépendance pourtant proclamée.
La justice ne peut être le théâtre de la peur ou de la soumission. Elle doit être un espace de vérité, de responsabilité et de courage. Et dans ce combat, il ne peut y avoir de délégation implicite;
Il ne revient pas au seul Barreau de défendre les principes fondamentaux de l’État de droit, les Magistrats doivent se relever, retrouver leur voix, honorer leur serment, non par défiance envers le pouvoir politique, mais par fidélité à la loi, et par devoir envers le peuple.
Aujourd’hui, plus que jamais, la Guinée a besoin d’une justice forte, digne et crédible. Il ne peut y avoir de paix durable sans institutions justes. Il ne peut y avoir de République véritable si les droits de l’homme ne sont pas la boussole de l’action judiciaire.
Que cette tribune soit donc moins une accusation qu’un appel. Un appel à la conscience, à l’engagement, au sursaut.
Par cette tribune, je renouvelle toute ma compassion et mon soutien au Bâtonnier Maître Mohamed Traoré pour ce qu’il a subi et souhaite de tout cœur, que justice lui soit rendue, tout comme à tous ceux qui sont aujourd’hui victimes de kidnapping et de disparition forcée.
Par un Magistrat meurtri de l’intérieur .