L’histoire de la Guinée ne saurait être racontée sans évoquer le rôle central d’Ahmed Sékou Touré, premier président du pays et figure incontournable du panafricanisme. Pourtant, son bilan est trop souvent réduit à des critiques passionnées, où l’objectivité cède la place à l’émotion et à la subjectivité. Nos pseudo-intellectuels préfèrent s’en tenir à une condamnation unilatérale, ignorant sciemment les réalisations majeures de son ère. Certes, son régime n’a pas été exempt d’erreurs, mais nier son apport fondamental à la Guinée et à l’Afrique serait une malhonnêteté intellectuelle.
En 1958, alors que la plupart des leaders africains hésitent à rompre avec la France, Sékou Touré fait un choix audacieux : il refuse le néocolonialisme déguisé sous la forme de la Communauté française et proclame la souveraineté de la Guinée. Contrairement à ce que certains pensent, son rejet du référendum du 28 septembre 1958 n’était pas une impulsion soudaine, mais le résultat d’une réflexion stratégique.
Déjà député de la Guinée française, Sékou Touré avait proposé que la Constitution de la Ve République française intègre une disposition permettant aux colonies, si elles le souhaitaient dans le futur, d’accéder à l’indépendance. Ce projet visait à offrir un choix aux générations futures, afin qu’elles ne soient pas enfermées dans une colonisation perpétuelle. Mais la France refusa catégoriquement. Face à cette fermeture, Sékou Touré comprit que la seule voie possible était celle du Non, ouvrant ainsi la voie à l’indépendance immédiate de la Guinée.
Ce rejet massif, avec 95 % des Guinéens votant « Non », déclenche la colère de la France, qui dévasta le pays avant de partir : archives détruites, infrastructures sabotées, administration désertée. La Guinée se retrouve indépendante, mais sans un sou en trésorerie.
Face à cette situation dramatique, Sékou Touré pose les bases d’une économie indépendante. Il crée une police économique pour lutter contre la corruption et préserver les ressources du pays. Malgré les défis, les exportations atteignent 960 millions de dollars et la Guinée parvient à développer des secteurs clés. L’agriculture, par exemple, connaît un essor impressionnant avec 11 000 agronomes, un chiffre surpassant l’ensemble du continent africain.
En 1958, la Guinée ne comptait que 12 universitaires. Grâce aux efforts du gouvernement, ce taux d’instruction passe de 2 % à 52 % en quelques décennies. L’intervention de Gamal Abdel Nasser permet la création de la première université francophone du pays, marquant une avancée majeure pour l’éducation guinéenne.
Sékou Touré ne s’est pas contenté de défendre la souveraineté de la Guinée, il s’est imposé comme une figure de proue du panafricanisme. Il joue un rôle de médiateur dans la guerre Iran-Irak, un fait rarement évoqué. Même Saddam Hussein, alors en pleine guerre, reconnaît son influence en lui versant 200 000 dollars, somme immédiatement reversée au Trésor public guinéen.
Lorsque la Guinée est attaquée en 1970 par le Portugal, dans une tentative de déstabilisation, Sékou Touré défend son pays avec fermeté. 560 civils guinéens paient le prix de cette agression, mais la Guinée reste debout, refusant de céder aux pressions impérialistes.
Le régime de Sékou Touré a été marqué par de nombreux complots, certains réels, d’autres supposés. Contrairement aux idées reçues, tous ceux qui ont été envoyés au Camp Boiro n’ont pas été exécutés.
Complot des commerçants : impliquant notamment Petit Touré, cousin du président, assassiné en prison alors qu’il était prêt à passer aux aveux.
Complot des enseignants : 15 personnes arrêtées, mais 10 ont été libérées.
Complot Kaman Fodéba : condamnations à 15 ans de prison.
Jean Faragbé : après la mort de Sékou Touré, il reconnaît avoir participé à un complot contre le régime.
Ces éléments démontrent que la répression, bien qu’indéniable, ne fut pas une exécution systématique de tous les opposants, comme certains veulent le faire croire.
Parmi les événements souvent évoqués contre Sékou Touré figure la révolte des femmes du marché M’ballia (actuel marché Madina). Ce soulèvement féminin, présenté comme une simple opposition aux politiques économiques du gouvernement, a en réalité été infiltré pour assassiner le président.
Lors de la tentative d’assassinat, l’intervention des forces de sécurité a entraîné des tirs de sommation, causant malheureusement la mort d’une femme à Tombo. Cet incident tragique, exploité par les opposants du régime, est souvent simplifié à une répression sanglante, sans tenir compte du véritable contexte de la menace contre le président.
Un héritage à analyser avec justesse
Réduire l’ère Sékou Touré à la seule répression est une vision biaisée de l’histoire. Son leadership a fait de la Guinée un symbole de résistance et de souveraineté africaine, posant les bases de son développement.
Certes, des erreurs ont été commises, mais son bilan dépasse largement les critiques émotionnelles et simplistes. Son combat pour l’indépendance, l’éducation et l’économie a façonné la Guinée moderne.
Plutôt que de s’enfermer dans une condamnation unilatérale, il est temps d’analyser son héritage avec objectivité et profondeur, car une nation qui ignore ses bâtisseurs se condamne elle-même à l’errance.
Lansana Wagué