Depuis plusieurs mois, la Guinée traverse une grave crise de liquidité bancaire. Les files d’attente devant les guichets, les plafonnements des retraits et la rareté des billets en circulation traduisent un malaise profond. Ce phénomène, inédit par son ampleur, fragilise les ménages, asphyxie les entreprises et ralentit dangereusement la machine économique.
Or, la relation entre les banques et leurs clients repose sur un principe fondamental : la garantie de disponibilité des liquidités. Lorsque cette promesse n’est plus respectée, c’est la confiance dans tout le système bancaire qui vacille.
D’abord, cette crise trouve ses racines dans une gestion défaillante des flux financiers publics. Les grands projets d’infrastructures sont souvent financés par des décaissements massifs opérés en dehors du circuit bancaire, ce qui prive les banques de ressources essentielles. Ces pratiques, aggravées par des détournements de fonds publics et des malversations financières, creusent un déficit de liquidité qui se répercute directement sur les guichets.
Ensuite, un déficit de confiance envers la Banque Centrale vient amplifier la situation. L’opacité entourant la gestion des réserves de change et l’absence de communication proactive ouvrent la porte aux rumeurs, alimentant ainsi un climat d’incertitude. Certaines décisions monétaires, mal expliquées, ajoutent à cette méfiance et incitent les acteurs économiques à se tourner vers des solutions hors du circuit bancaire.
Par ailleurs, la faible contribution des recettes d’exportation au système bancaire local accentue la tension. Dans le secteur minier, en particulier celui de la bauxite, la majorité des transactions se fait par lettres de crédit offshore, ce qui réduit l’afflux de devises dans le pays.
À cela s’ajoute une faible bancarisation de l’économie et un retard dans le développement des paiements électroniques. Une grande partie des transactions s’effectue encore en cash, en dehors du contrôle des banques, ce qui entretient la dépendance aux espèces et accentue la pression sur la liquidité disponible.
Enfin, l’absence d’une communication claire et régulière de la Banque Centrale comme des banques commerciales entretient la panique. Faute d’informations fiables, les clients craignent pour leurs dépôts et procèdent à des retraits massifs, créant ainsi un effet boule de neige qui aggrave la crise.
Les conséquences sont lourdes. Pour les ménages, les retraits limités compliquent la couverture des dépenses quotidiennes et alimentent un sentiment de frustration, d’incertitude et d’injustice. Pour les entreprises, la tension de trésorerie freine les investissements et ralentit la production. Pour l’économie nationale, l’activité commerciale se contracte, l’inflation s’installe et la dollarisation informelle progresse. Plus grave encore, cette crise creuse le fossé entre la population et les institutions bancaires, fragilisant la cohésion sociale.
Face à une telle situation, certaines solutions d’urgence s’imposent. Il faut avant tout restaurer la confiance des agents économiques dans le système bancaire et dans la Banque Centrale. Cela passe par une communication institutionnelle transparente, régulière et pédagogique sur l’état des réserves et les politiques monétaires en cours. De plus, la gestion des finances publiques doit gagner en discipline, en traçabilité et en probité, avec des mesures fermes contre la corruption et les détournements.
En outre, le pays doit impérativement optimiser les flux d’exportation en incitant au rapatriement des devises et en obligeant qu’une partie des recettes minières soit logée dans les banques locales. La modernisation du système de paiement, à travers l’interconnexion des institutions financières et la généralisation des transactions électroniques, contribuera également à réduire la dépendance au cash.
Parallèlement, la révision de la dette publique, en privilégiant les emprunts à long terme, permettra d’alléger la pression immédiate sur les liquidités. La bancarisation de l’économie informelle, soutenue par des campagnes de sensibilisation et des incitations fiscales, doit devenir une priorité nationale.
Recourir à la planche à billets pour injecter artificiellement de la monnaie ne serait pas une solution durable et viable : une telle mesure provoquerait une inflation incontrôlée et dégraderait encore la confiance dans le système financier.
La crise actuelle n’est pas seulement un problème technique de disponibilité de billets : c’est une crise de confiance qui menace de paralyser l’ensemble de l’économie réelle du pays. Agir vite est donc une nécessité absolue. Il ne s’agit pas seulement de rétablir la liquidité, mais aussi de réhabiliter la confiance. Car, dans un système financier, la première et la plus précieuse des liquidités, c’est la confiance elle-même.
Que Dieu protège la Guinée et les guinéens.
Alpha BAYO, acteur de la société civile