Il est indéniable que la session 2024-2025 des examens nationaux en République de Guinée se distingue par un record numérique sans précédent. Plus de 566 000 candidats prennent part aux différentes évaluations, du Certificat d’études élémentaires au Baccalauréat, illustrant une massification progressive de l’accès à l’éducation. Par ailleurs, les efforts d’intégration technologique tels que l’inscription numérique, les codes QR et la prise en compte des candidats en situation de handicap témoignent d’une volonté manifeste de modernisation.
Cependant, parallèlement à cette dynamique de rationalisation, se profile une réalité moins reluisante, souvent passée sous silence : la gestion pour le moins chaotique des primes allouées aux surveillants et correcteurs. Ces derniers, tout en faisant preuve de discipline et d’abnégation, sont confrontés à une incertitude intolérable concernant la réception de leurs dus.
En effet, d’une localité à l’autre, les procédures varient et se contredisent. Tantôt, il est exigé aux enseignants de communiquer leur numéro Orange Money, sans aucune garantie de délai ni de traçabilité. Tantôt encore, il leur est demandé de télécharger une application mobile, dont l’utilisation demeure incomprise, voire impossible pour bon nombre d’entre eux.
Ainsi, cette disparité de traitement révèle non seulement une absence criante de coordination, mais également une profonde inéquité dans la gestion des ressources humaines mobilisées. Ce qui devait être une rétribution devient un parcours du combattant. En conséquence, le caractère arbitraire de cette gestion suscite des interrogations fondamentales.
Dès lors, une question essentielle mérite d’être posée : que faire des enseignants qui ne disposent pas de téléphone compatible avec l’application exigée ? Que dire de ceux affectés dans des zones enclavées, sans accès à la banque indiquée, ni même à un service régulier de téléphonie mobile ? Faut-il donc qu’ils s’endettent ou parcourent de longues distances, parfois supérieures à la valeur même de la prime à percevoir, pour remplir une formalité aussi élémentaire que l’obtention de leur indemnisation ?
De surcroît, il n’est pas exagéré de s’interroger sur l’opportunité d’une telle stratégie. La multiplication des obstacles techniques et logistiques ne serait-elle pas une manière éhontée de dissimuler un assèchement des liquidités au niveau de la Banque centrale ou des défaillances volontaires dans l’exécution budgétaire ? Car si l’argent était effectivement disponible, pourquoi complexifier à outrance son accès, surtout au détriment des acteurs les plus périphériques du système ?
En conséquence, il devient nécessaire de s’interroger également sur le rôle réel des directions communales, préfectorales et régionales de l’éducation, lesquelles se retrouvent dans une posture de simples courroies de transmission, dépourvues de moyens financiers et de marge d’initiative. Aucune subvention structurelle ne leur a été allouée pour l’accompagnement du calendrier scolaire, les contraignant ainsi à des improvisations administratives pénibles.
Partant, il convient de s’alarmer : que peut-on raisonnablement attendre d’un système éducatif qui n’assure même pas le minimum logistique et moral à ses exécutants de terrain ? Quelle espérance peut-on nourrir pour une éducation nationale quand l’enseignant devient une variable d’ajustement, relégué au rang de mendiant institutionnel ?
Désormais, il ne s’agit plus uniquement de revendiquer un droit salarial, mais bien d’interpeller la conscience collective sur le degré d’effritement de la reconnaissance publique accordée aux éducateurs. Ce ne sont pas des écrans, des applications ou des portefeuilles électroniques qui structurent une Nation, mais bien la considération effective et équitable accordée à ceux qui en forment les futurs citoyens.
En d’autres termes, ce n’est pas à l’enseignant de mendier ce qui lui est légitimement dû, mais à l’administration de garantir l’effectivité de ce droit, sans détours ni humiliations. Faute de quoi, nous continuerons à assister à une désintégration silencieuse de notre système éducatif, masquée par les artifices d’une modernisation sans âme.
Car, en définitive, une République qui méprise ses enseignants abdique, déjà, son avenir.
Konaté Lanciné