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Derrière la prétendue « crise de liquidités » en Guinée, un mal bien plus structurel

Depuis plusieurs semaines, la Guinée est décrite comme en proie à une « crise de liquidités ». Le terme, abondamment repris dans les médias et dans le discours public, évoque un effondrement du système bancaire, un blocage des paiements, voire une panique financière. Or, à y regarder de plus près, cette appellation relève d’une simplification trompeuse.

Comme le soulignent plusieurs analystes financiers, il ne s’agit pas ici d’une crise de liquidité au sens économique strict — les banques ne sont ni insolvables ni incapables d’assurer leurs opérations — mais d’un déséquilibre temporaire, mais profond, dans la distribution de monnaie fiduciaire.

Sur le terrain, les banques continuent de fonctionner : elles paient les chèques, traitent les virements et assurent la plupart des transactions courantes. Ce qui fait défaut, ce ne sont pas les « liquidités » au sens global, mais les billets eux-mêmes. Autrement dit, la monnaie papier – forme visible de la confiance monétaire – est devenue difficile d’accès, en raison d’un enchaînement d’erreurs politiques et administratives.

L’un des points de bascule a été le gel des commandes de billets à l’étranger, consécutif aux accusations de « falsification monétaire » lancées contre l’ancien ministre de l’Économie Moussa Cissé et le gouverneur de la BCRG Karamo Kaba…

Bien que ces accusations aient été formellement écartées par une enquête administrative, la paralysie institutionnelle engendrée a suffi à bloquer les procédures logistiques de renouvellement monétaire.

Ce retard, cumulé au temps de fabrication et de transport – souvent entre cinq et sept mois – a plongé le système dans une tension d’approvisionnement dont on commence à peine à mesurer les effets.

Mais il serait réducteur d’en faire un simple incident conjoncturel. La pénurie actuelle révèle l’inadaptation du système fiduciaire guinéen face à une économie en croissance rapide.

Le plus gros billet en circulation — 20 000 GNF, soit moins de deux dollars américains — ne répond plus aux exigences d’une économie qui se diversifie et se monétise. L’absence de coupures de plus forte valeur accroît mécaniquement le besoin en billets, tout en augmentant les coûts logistiques pour les banques et les commerçants.

À cela s’ajoute un facteur institutionnel préoccupant : l’État lui-même reste l’un des premiers consommateurs de cash. Les paiements en espèces au sein de l’administration publique, de l’armée et du Trésor dominent encore largement, malgré les discours sur la bancarisation.

Tant que ces entités continueront à siphonner le cash disponible pour leurs dépenses de fonctionnement, il sera difficile de trouver une stratégie de redressement durable qui porte ses fruits.

Dans ce climat, la méfiance fiscale joue un rôle non négligeable. Les opérateurs économiques, soupçonnant que leurs flux bancaires servent de matière première aux redressements du fisc, limitent leurs dépôts, contribuant à assécher les disponibilités des banques auprès de la BCRG.

Ce cercle vicieux alimente la pénurie apparente, sans que la solvabilité réelle des établissements bancaires soit remise en cause.

La situation est donc loin de justifier l’alarmisme ambiant. Elle signale surtout une transition mal maîtrisée entre une économie informelle dominée par le cash et un système bancaire qui peine à imposer sa centralité.

L’application rigoureuse, voire rigide, des normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent n’a fait qu’accentuer la contraction des mouvements fiduciaires, dans un pays où moins de 25 % de la population a accès à un compte bancaire.

Dans ce contexte, les promesses de la BCRG — notamment l’arrivée de 1 000 milliards de francs guinéens en nouveaux billets — permettront sans doute un répit temporaire.

Mais sans réforme profonde des usages publics du cash, sans digitalisation effective des paiements étatiques et sans montée en gamme des coupures disponibles, la Guinée risque de rejouer à intervalles réguliers cette « crise » aussi symbolique que révélatrice.

Avec Westaf Mining – édition N°102 du 15 Juin 2025

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