Ces dernières semaines, l’actualité nationale a encore révélé des détournements de plusieurs milliards de francs guinéens au sein de l’administration publique. Ministères, directions nationales, régies financières, collectivités locales : aucun secteur n’est épargné. Si l’indignation est vive, la question essentielle reste posée : qu’est-ce qui provoque ces détournements à répétition et comment éradiquer ce fléau qui hypothèque l’avenir de la Guinée ?
Des causes systémiques et multiformes
Les détournements de fonds publics en Guinée trouvent leurs racines dans un système de gouvernance défaillant, caractérisé par :
L’opacité budgétaire
La faible publication des dépenses publiques détaillées ouvre la voie à des manipulations et surfacturations permanentes.
Le contrôle interne inefficace
La majorité des ministères et institutions manquent de cellules d’audit et d’inspection suffisamment outillées et indépendantes pour prévenir et détecter les irrégularités.
La faiblesse des sanctions
Même lorsque les détournements sont révélés, les poursuites aboutissent rarement à des condamnations fermes, encore moins à des remboursements effectifs. L’impunité est devenue un carburant du vol de l’argent public.
La corruption institutionnalisée
Les retrocommissions, surfacturations et détournements sont intégrés comme pratiques tacites de fonctionnement, souvent pour financer des activités politiques ou enrichir personnellement les acteurs.
La défaillance des organes de contrôle
La Cour des Comptes, l’Inspection Générale d’État et les Inspections internes disposent de peu de ressources et leur autonomie reste fragile face aux pressions politiques.
Une culture sociale permissive
Voler l’État n’est pas perçu comme un crime moralement condamnable, mais plutôt comme une astuce pour « réussir rapidement ».
Des conséquences graves pour le pays
Ces détournements récurrents :
Aggravent la pauvreté en privant la population de services sociaux essentiels (santé, éducation, infrastructures).
Entretiennent un climat d’injustice et sapent la confiance des citoyens envers l’État.
Découragent l’investissement, intérieur comme extérieur, dans un contexte où la gouvernance est un indicateur clé.
Comment éviter ce fléau ?
Les solutions existent, mais nécessitent volonté politique, courage et constance :
Renforcer la transparence budgétaire
Publier intégralement et régulièrement toutes les dépenses publiques sur une plateforme accessible aux citoyens et aux médias.
Outiller et autonomiser les organes de contrôle
La Cour des Comptes devrait disposer d’un pouvoir direct de saisine de la justice, et l’IGE d’une protection juridique contre toute pression ou révocation abusive.
Appliquer des sanctions exemplaires et effectives
Sans récupération des fonds détournés et inéligibilité définitive pour les auteurs, aucun message dissuasif ne sera envoyé.
Digitaliser les procédures administratives et financières
Le paiement électronique, la traçabilité et la mise en place d’un Système Intégré de Gestion des Finances Publiques (SIGFP) réduiraient significativement la marge de manipulation.
Promouvoir une culture d’intégrité
Cela passe par l’éducation civique dès l’école, la formation continue des cadres et la valorisation publique des agents intègres plutôt que des prédateurs.
Briser le cycle : un impératif de survie nationale
Le détournement de fonds n’est pas un simple crime économique : c’est un crime contre le développement et la dignité d’une nation. La Guinée ne pourra se relever durablement sans mettre fin à ce fléau. Cela exige de nous tous – gouvernants, agents publics, société civile, médias et citoyens – un sursaut moral et une exigence constante de redevabilité.
“Il n’y a pas de fatalité à la corruption, mais une responsabilité collective à la combattre.”
Mohamed Chérif Touré, juriste, analyste en gouvernance et droits humains
mohamedcheriftoure80@gmail.com