spot_img
spot_img
AccueilECONOMIELe Parcours historique de la monnaie guinéenne (Par Abdoulaye GUIRASSY, économiste) 

Le Parcours historique de la monnaie guinéenne (Par Abdoulaye GUIRASSY, économiste) 

La monnaie guinéenne, symbole de notre souveraineté a été créée le 1er mars 1960, elle est bien plus qu’un simple moyen d’échange, elle a été et demeure le reflet de l’histoire de notre nation. La création de la monnaie guinéenne a également été un acte fondateur, une affirmation de notre autonomie et de notre volonté de construire une économie stable et résiliente. Ce choix audacieux de rupture avec le franc CFA, héritage de la colonisation a été porté par le Président Ahmed Sékou Touré.

Cependant, ce choix n’était pas sans conséquence, le jeune Etat de Guinée a dû faire face à une espèce d’isolement financier international, à des pressions économiques, au déficit de réserves de change, sous tendu par une forte dépendance aux importations sans occulter le système de sabotage savamment orchestré par l’ancienne puissance colonisatrice par l’injection massive des billets contrefaits, mais c’est sans compter sur la détermination des pères fondateurs qui avaient une volonté inébranlable de bâtir une politique monétaire autonome dans un contexte mondial marqué par la guerre froide et les tensions géopolitiques.

De l’héritage colonial à la modernisation institutionnelle

Après sa création le 1ᵉʳ mars 1960, le franc guinéen a incarné une rupture politique et idéologique pour l’affirmation appuyée de notre indépendance. Cette décision s’est heurtée à des défis structurels, mais a néanmoins posé les jalons d’une économie autocentrée avec le remplacement de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) par la Banque de la République de Guinée (BRG) et le remplacement du franc CFA par le franc guinéen. Les objectifs en filigrane de toutes ces mesures demeuraient le Financement des projets de développement (barrages, infrastructures, industries), le contrôle de l’inflation dans le but d’assurer la stabilité économique. 

 La BRG deviendra en 1961 la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), celle-ci se désengage des fonctions de banque commerciale et de banque de développement pour ne conserver exclusivement que les fonctions d’émission. Avec la vague de la nationalisation des banques étrangères dans le pays, plusieurs banques publiques et entièrement étatiques à vocation spécifique sont ouvertes : La Banque Nationale pour le Développement de l’Agriculture (BNDA) ; la Banque Guinéenne du Commerce Extérieur (BGCE) et le Crédit National pour le Commerce, de l’Industrie et de l’Habitat (CNCIH).

L’histoire de la monnaie fiduciaire guinéenne a été marquée par plusieurs émissions, changements de noms, des signes monétaires et de la banque centrale émettrice. 

 Les premières décennies : audace et turbulences (1960-1984)

  • 1960 : La première phase de notre histoire monétaire commence avec la création du franc guinéen (FG), cette période a été marquée par une volonté forte de construire une économie nationale résiliente. A la même année, l’on assiste à la création de la Banque de la République de Guinée (BRG), institution clé pour la gestion de la politique monétaire et la régulation du système financier qui marquait une rupture avec le système monétaire colonial, conformément à la vision du président Sékou TOURE qui considérait la monnaie comme un attribut essentiel de la souveraineté de notre pays. A ce titre il affirmait « l’effort du gouvernement visant la pleine indépendance nationale et le développement d’une économie nationale s’est avéré infructueux tant que le pays n’aura pas été doté d’une personnalité monétaire propre et d’une autonomie financière réelle pouvant favoriser l’accroissement de la production et régler sur des bases saines les relations économiques et financières de la Guinée ».
  • 1963 : nouvelle émission du franc guinéen pour remplacer la précédente émission jugée de qualité peu appréciable, cette émission n’a eu aucune incidence sur la circulation fiduciaire en Guinée car elle n’avait qu’une fonction de remplacement des anciennes coupures. 
  • 1972-1986 : Le Syli une innovation dans la continuité monétaire (expérience révolutionnaire), en 1972 la Guinée a introduit une nouvelle monnaie, le syli (signifiant « éléphant », symbole de puissance et de fierté nationale). Cette décision s’inscrivait dans le cadre d’une politique économique radicale marquée par une économie planifiée et un contrôle strict des changes.

 En se substituant au Franc guinéen, le Syli s’échangeait sur la base de 1 GNS = 10 FG. Cette réforme monétaire était une tentative de relancer l’économie, mais a malheureusement entraîné des difficultés économiques majeures, notamment une inflation galopante de l’ordre de 22%, des pénuries de biens de première nécessité et une dépréciation de la monnaie face aux devises étrangères.

Malgré ces défis, cette période a néanmoins consolidé les bases de notre souveraineté monétaire et a permis à la Guinée de mieux assumer son destin économique en faisant du Syli, un symbole fort de notre histoire et un signe de notre volonté de rompre avec le passé colonial et de construire une économie indépendante.

Il n’est pas superflu de rappeler que la Politique économique en vigueur à cette époque visait une nationalisation tous azimuts des entreprises, un contrôle accru des prix, et une planification plus centralisée. 

A la même période, l’on assiste à la création de deux autres banques publiques, notamment la Banque Nationale des Services Extérieurs (BNSE) pour les transferts et le change manuel, et la Banque Nationale d’Epargne et de Dépôt (BNED) dont la fonction essentielle était de collecter la petite épargne des travailleurs.

  • 1980 : La dette publique explose allant jusqu’à 70 % du PIB avec son corollaire de dépréciation du Sily par l’effet de la séparation de la Banque Centrale et de l’institut d’émissions qui a été directement rattaché à la présidence. Ceci reflète les difficultés de gestion d’une économie fortement étatique au sein de laquelle l’émission des billets est considérée par le président comme un acte d’état qui requiert par voie de conséquence une supervision et un contrôle présidentiel.
  • 1983 : Création de la première banque privée « La Banque Islamique de Guinée » (BIG). La création de cette banque privée a été favorisée par des considérations géopolitique et idéologique.

1985 à Aujourd’hui : Le Retour au Franc Guinéen (GNF) et l’Ère des Réformes, un tournant décisif

A la faveur du changement politique intervenu en avril 1984, le nouveau gouvernement du Président Lansana Conté s’oriente résolument vers une politique économique libérale et engage des réformes économiques majeures pour stabiliser la monnaie.

A la suite du discours programme du nouveau Président, une refondation systématique de la structure de la Banque Centrale est opérée en septembre 1985. La BCRG retrouve et recouvre toutes ses prérogatives d’émission et parallèlement on assiste à la liquidation de toutes les banques d’Etat et la naissance de nouvelles banques commerciales à capitaux privés ou mixtes. Un vaste chantier de réforme monétaire a été réalisé, qui a conduit à une dévaluation du Sily de 92% de sa valeur, cette dévaluation du Syli était une mesure douloureuse mais nécessaire, car elle a redéfini la valeur du Franc guinéen et a ouvert l’économie guinéenne aux marchés internationaux.

  • En janvier 1986, la monnaie redevient le franc guinéen (GNF) avec une nouvelle parité de 1GNS=1GNF, parallèlement au rétablissement du franc guinéen (GNF), il est mis en place un marché hebdomadaire des devises aux enchères à la BCRG, avec une flexibilité contrôlée du franc guinéen. Ces réformes ont conduit à une stabilisation temporaire de la monnaie nationale en faisant passer l’inflation de 22 % à 10 % en 1987, et les réserves de change ont connu une légère embellie.
  •  1990-2000 : Adoption de plans d’ajustement structurel en collaboration avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, visant à réduire l’inflation, stabiliser le taux de change, et relancer la croissance économique.

 Modernisation institutionnelle (2010-2025)

La modernisation du système financier avec l’introduction de nouvelles technologies (mobile banking, fintechs), sous tendu par une volonté accrue de l’inclusion financière des populations et le renforcement de l’autonomie de la BCRG à travers la loi bancaire de 2010. Toute chose qui a permis une gestion plus autonome de la politique monétaire en ramenant l’inflation de 22 % en 2010 à 6 % au premier trimestre 2025, et les réserves de change de 1,2 milliard USD en 2023 à 1,7 milliard USD en 2024. Ces avancées ont consolidé les avoirs extérieurs nets de la Banque Centrale provenant essentiellement des recettes minières.

Malgré ce tableau idyllique, la BCRG reste confrontée à des défis, en l’occurrence la volatilité du taux de change du franc guinéen, notre monnaie nationale reste vulnérable aux chocs endogènes et exogènes qui affectent les déterminants de son taux de change, comme l’atteste ces quelques indicateurs ci-dessous de la Banque centrale :

 Déséquilibres structurels et pressions inflationnistes

  • Balance commerciale : Bien que les exportations minières aient pu générer 1,24 milliard USD en 2022, seulement 40 % des devises issues du secteur minier ont été rapatriées et ce malgré les injonctions du gouvernement, toute chose qui impacte négativement les réserves de change de la BCRG et par ricochet les avoirs extérieurs nets ;
  • Inflation : En 2024, l’inflation a atteint 10,3 %, avec des pics allant jusqu’à à 15 % à Conakry surtout après l’incendie du dépôt de carburant de Kaloum en décembre 2023. Toutefois, elle est redescendue et maitrisée à 4,7 % au troisième trimestre 2024, avant de remonter à 7,6 % fin 2024 ;
  • Masse monétaire : En glissement annuel, elle a augmenté de 36,3 % pour atteindre 65 497,7 milliards GNF en septembre 2024, reflétant une expansion du crédit mais aussi un risque de surchauffe dû à une croissance rapide de l’économie.

Le taux de change et la dollarisation

  • Dépréciation face au dollar : Le franc guinéen s’est déprécié de 1,2 % en glissement annuel en septembre 2024, avec un taux moyen de 8 585,81 GNF pour 1 USD sur le marché officiel, contre 8 800 GNF sur les marchés parallèles ;
  • Dépendance aux devises : 65 % de nos transactions commerciales sont libellées en USD, ce qui réduit substantiellement l’efficacité de la politique monétaire et affaisse les avoirs extérieurs nets de la BCRG.

 Facteurs exogènes : crises géopolitiques et climatiques

  • Guerre en Ukraine et conflit Israélo-Hamas : Ces crises ont fortement perturbé les chaînes d’approvisionnement, faisant grimper les prix des carburants de 60 % entre 2023 et 2024 ;
  • Catastrophes naturelles : Les inondations sans précèdent durant l’année 2024 dans la région de la haute Guinée et dans la région de Kindia, ont réduit la production agricole de 12 %, exacerbant l’inflation alimentaire.

Face à ces défis majeurs, la BCRG a fait preuve de proactivité en agissant sur les instruments et des canaux de transmission de la politique monétaire :

  • Taux directeur : réduit à 10,25 % avril 2025 était 10,75 % en 2024 après un pic à 11 % en 2023, pour stimuler la croissance (signe d’une politique monétaire expansionniste) ;
  • Réserves obligatoires : Le coefficient est passé de 15 % à 12,75 % en 2024 et à 12,25 en avril 2025 tout en injectant plus de 5 000 milliards GNF dans l’économie ;
  • Les réserves de Change : Les réserves internationales ont augmenté de 5,4 % en 2024, atteignant 1 715,64 millions USD, grâce au rapatriement de 50 % des recettes d’exportation. 

L’orientation actuelle de la BCRG  est marquée par une politique monétaire accommodante qui a permis des progrès significatifs et des gains d’efficience certains, mais en revanche elle a favorisé des défis notables, notamment l’instabilité macroéconomique à travers des épisodes d’hyperinflation et une dépréciation périodique du franc guinéen, la forte dépendance aux matières premières et son corollaire de vulnérabilité aux fluctuations des cours mondiaux de bauxite, de l’or ….Il est alors nécessaire de renforcer la gouvernance économique par le biais de la transparence dans la gestion des ressources publiques à travers la lutte contre la corruption par le renforcement des mesures d’imputabilité, de redevabilité et de réédition des comptes.

Malgré ces défis, le parcours historique de notre monnaie et du système de change flottant qui l’accompagne sont jalonnés de réalisations à célébrer, notamment :

  • Une Souveraineté préservée : Malgré les pressions, la Guinée a maintenu sa monnaie nationale, un symbole fort de notre indépendance ;
  • Les innovations récentes : La digitalisation des paiements (mandats électroniques, mobile banking) a permis d’améliorer l’accès aux services financiers ;
  • Des partenariats stratégiques : La collaboration avec des institutions régionales (BCEAO, BOAD) et internationales (FMI, Banque Mondiale) a renforcé notre capacité à faire face aux chocs économiques.

En termes de perspectives, la Banque Centrale devrait focaliser ses efforts sur plusieurs axes prioritaires pour renforcer notre système monétaire et financier notamment :

La stabilité monétaire : Contrôle de l’inflation, gestion prudente des réserves de change, et renforcement de la politique monétaire ;

L’inclusion financière : Étendre l’accès au crédit et aux services bancaires, en particulier dans les zones rurales où plus de 50% de la population reste non bancarisée ;

La transition numérique : Explorer les possibilités offertes par les nouvelles technologies, notamment la monnaie digitale de banque centrale (MDBC), pour améliorer l’efficacité et la sécurité des transactions.

De nos jours, la monnaie guinéenne doit se réinventer tout en préservant ses innombrables acquis, surtout au moment où l’on assiste au délitement et à des critiques acerbes contre le Franc CFA à cause de sa colonialité. Dès lors, il ressort que notre monnaie est bien plus qu’un instrument économique, elle est le reflet de notre histoire, de nos combats et de nos aspirations. Elle incarne notre souveraineté et notre volonté de construire un avenir meilleur. 

Toutefois, il n’en demeure pas moins que les terreaux qui fertiliseront ce vaste chantier de transformation structurelle seront : la gouvernance vertueuse, la diversification économique et une politique environnementale rigoureuse et efficace.

   Abdoulaye GUIRASSY (membre correspondant de l’Académie des Science de Guinée)

  Chargé de Cours d’économie monétaire,

Titulaire d’un master2 en Economie appliquée de l’Université de Limoges (France) et d’un master2 en Science Po de l’Université Jean Moulin Lyon3 (France)

Président du Cercle de Réflexion et d’Analyse de la Conjoncture Economique (CRACE)

        Mail : guirassy_abdoulaye@yahoo.fr (610 05 55 55)

RELATED ARTICLES

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Most Popular

Recent Comments